Le tableau des « VVIP »
À la tombée de la nuit, les deux assauts sont donnés, les terroristes tués. Désormais, plus rien ne s’oppose au rassemblement de dimanche. Au palais de l’Élysée, l’excitation se mêle à la tristesse, les conseillers sautent sur leurs téléphones. Le secrétaire général de l’Élysée, Jean-Pierre Jouyet, qui assure la relation permanente avec les dirigeants de l’Union européenne, appelle le Polonais Donald Tusk, président du Conseil européen, et Jean-Claude Juncker, qui préside la Commission de Bruxelles. Jacques Audibert, lui, contacte ses interlocuteurs habituels auprès des chefs de gouvernement : Matteo Renzi à Rome, David Cameron à Londres, Mariano Rajoy à Madrid.
De son côté, le chef du protocole, Laurent Stéfanini, prend les rênes de l’organisation. Avec les visiteurs de marque qui s’annoncent, plus question d’abandonner cela aux partis politiques. « Ce n’était plus la même manifestation, on avait changé de niveau », note avec malice un proche de Hollande. Diplomate policé, Stéfanini a pour fonction de superviser les visites officielles de dignitaires étrangers en France. La marche du 11 janvier lui offre une fin de mission en apothéose : il vient de recevoir sa nomination comme ambassadeur au Vatican. À présent, il étudie les parcours possibles avec la préfecture de police et la mairie de Paris. Les premières options envisagées, les Champs-Élysées et le Champ de Mars, sont vite abandonnées : la tradition les réserve à des événements plus festifs, comme une victoire en Coupe du monde ou les concerts du 14 juillet. Le cortège ira de la place de la République à celle de la Nation en empruntant le boulevard Voltaire. Autant de symboles plus conformes aux circonstances.
À 22 heures, des plateaux repas sont servis dans le salon vert qui sépare le bureau de François Hollande de celui de Jean-Pierre Jouyet. La garde rapprochée est réunie. À intervalles réguliers, le président s’éloigne pour prendre les appels. Entre l’Italien Matteo Renzi et le Canadien Stephen Harper, il parle notamment avec Benyamin Nétanyahou. Chaque mot est pesé. « Le peuple d’Israël est avec vous, commence le premier ministre israélien.
– Je suis très triste de la mort de quatre personnes juives cet après-midi, répond Hollande.
– Je vous félicite pour la neutralisation des terroristes. La menace terroriste est importante en Europe. Nous devons coopérer davantage.
– Je vous remercie de votre solidarité. Il faut tout faire pour régler les crises au Moyen-Orient. »
Devant ses collaborateurs, Hollande fixe le cadre du défilé : « Ce doit être une marche pour les familles, pour les Français et pour le monde. » Toute la mise en scène devra en découler : les proches des victimes occuperont la tête du cortège ; les participants avanceront librement, sans présence policière trop visible ; les personnalités étrangères seront photographiées et filmées afin que leur présence devienne un symbole planétaire. « Dès ce moment, on pense à l’image pour l’histoire », confie Gaspard Gantzer. En fin de soirée, après une ultime conversation avec Jean-Claude Juncker, le chef de l’État s’éclipse. « Là, on s’est tous regardés et on s’est dit : “On a vingt-quatre heures pour monter ce truc” », se rappelle Claudine Ripert-Landler.
Toute la nuit, les agents du protocole et les conseillers diplomatiques reçoivent les confirmations des grandes capitales. Un tableau Excel a été constitué, sur lequel les conseillers de l’Élysée, de Matignon et des affaires étrangères inscrivent au fur et à mesure les noms des pays et le nombre de leurs représentants. Les chefs d’États sont désignés par l’acronyme VVIP (very very important person). « Quand je me suis couché le vendredi soir, il y avait déjà une vingtaine de réponses positives, se remémore Christophe Lemoine, le chef de cabinet de Laurent Fabius. Au petit matin, j’ai consulté mon téléphone : la liste en comptait trente-cinq. C’était impressionnant. »
Les heures suivantes, le programme prend forme. Les personnalités étrangères arriveront entre le samedi soir et le dimanche midi, via les trois aéroports parisiens (Orly, Roissy et Le Bourget) et la gare du Nord (pour le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker et le premier ministre belge Charles Michel). Un dispositif de sécurité sera mis en place par le service de la protection (SDLP) du ministère de l’intérieur mais chaque pays assurera l’acheminement de sa délégation – « pour des raisons de sûreté et pour maîtriser les coûts », précise un diplomate haut placé. Le rendez-vous est fixé entre 13 heures et 14 heures, à l’Élysée, où un immense buffet sera dressé dans la salle des fêtes, avec velouté de potiron, crudités, foie gras, volaille du Gers, gambas et pâtisseries (coût total : 58 000 euros, service compris). Le départ groupé est prévu à 14 h 30 pour rallier la manifestation déjà en marche. Malgré la précipitation, tout est fait dans les formes : un appel d’offres public est lancé le samedi matin pour la location de six bus, sur les crédits du programme 105 réservé aux « actions extérieures de l’État ». (Le ministère de l’intérieur en mettra quatre autres à disposition pour faire face à l’afflux d’invités.) C’est à leur bord que François Hollande et ses invités de marque traverseront Paris pour rejoindre le défilé.
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Source:MSN Belgique – Outlook, Skype, toute l’actualité en continu