L’avis de la psychanalyste : » attention à ne pas laisser porter toute la faute à la seule mère «
Marie Claire : La rivalité est-elle inhérente à la relation mère-fille ?
Virginie Megglé* : Non, mais elle peut être plus ou moins en germe chez chaque mère. En fait, l’expression irraisonnée de cette rivalité dépend de l’histoire de chacune. C’est sans doute plus délicat pour une femme qui était déjà en concurrence avec sa mère ou qui a du mal à grandir.
Qu’est-ce qui se joue derrière cette rivalité ?
La mère en veut à sa fille de lui faire prendre conscience, par sa seule présence, qu’elle n’est pas éternelle. Son développement la renvoie à un irrévocable processus de vieillissement. Surtout si elle vit dans l’insécurité. Ces mères ont peur de disparaître. Au lieu d’être dans la différenciation, elles se comparent, se projettent. Certaines perçoivent leur fille comme une excroissance d’elles-mêmes. Ayant souvent souffert dans leur propre enfance, elles sont restées dans une relation fusionnelle idéalisée.
Et le père, dans tout ça ?
Le passage de flambeau mère-fille se fait quand il y a un père qui tient son rôle. Souvent, lorsque la jalousie dégénère, c’est que lui laisse faire et en tire une jouissance. Attention à ne pas laisser porter toute la faute à la mère ! Elle n’est pas la seule responsable de cette jalousie. C’est une configuration de couple. Dans le jeu de chaises musicales instauré par les parents, l’enfant prend la place qu’on lui laisse.
Quels sont les dommages pour la fille ?
Elle est « handicapée » de façon invisible. Là où elle est censée recevoir de l’amour, elle se sent atteinte dans son intégrité. Dans certains cas, elle aura tendance à vouloir « réparer » sa mère. A la « gâter », à inverser les rôles. Au détriment de sa propre croissance. Dans d’autres cas, elle perçoit sa mère comme une ennemie ou une inférieure, surtout si elle y est encouragée par son père. Le risque, c’est qu’elle reproduise plus tard ce schéma. Ou qu’elle refuse d’enfanter (non-désir, stérilité…), de peur d’avoir une fille.
Pourquoi est-ce si difficile d’en parler ?
Parce que cela porte atteinte au mythe de la mère Courage, de la mère parfaite. Celle qui donne la vie… Surtout à une époque où le lien mère-fille est à la mode sur fond de confusion intergénérationnelle.
Comment faire pour sortir de ce cercle vicieux ?
En parler, justement. Car à force de cacher ces « mauvais » sentiments, on les renforce. Il faut dire, être entendue, pour pouvoir banaliser. Sinon on se prend pour une criminelle ! Alors que les mauvais sentiments, tout le monde en a… Les témoignages que vous avez recueillis sont très touchants, car ces femmes avouent leur insécurité, leur faiblesse (leur fille représente à leurs yeux un danger). Il faudrait les féliciter d’avoir parlé, ne surtout pas les juger mais, au contraire, les déculpabiliser.
Non, elles ne sont pas des monstres ! Il y a beaucoup plus de mères jalouses de leurs filles qu’on le croit, et qu’on ose le dire. Prendre conscience de sa jalousie et l’accepter constitue le premier pas pour l’atténuer. Ensuite, pour aller mieux, ces mères en rivalité auraient tout intérêt à entreprendre un travail thérapeutique. Guérir de ses blessures d’enfance permet un épanouissement et une ouverture du cœur, même tardifs. En reconnaissant à son enfant le droit à l’autonomie, on gagne soi-même en liberté… Et on peut y gagner une fille.
(*) Auteure de « Le bonheur d’être responsable, Vivre sans culpabiliser », éd. Odile Jacob.
Source Article from http://www.marieclaire.fr/,je-suis-jalouse-de-ma-fille,718992.asp
Source : Marie Claire : Bien-être