Marie Claire : Vous êtes en charge de la Famille donc de la protection de l’enfance. Ces derniers mois, on a beaucoup parlé de dérives, des enfants de l’Aide sociale à l’enfance (Ase) aujourd’hui adultes ont dénoncé l’enfer vécu dans les institutions et les familles d’accueil. Comment réagissez-vous ?
Laurence Rossignol : J’ai eu la chance d’arriver dans ce ministère au moment où sont sortis le rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), la proposition de loi relative à la protection de l’enfance déposée par les sénatrices Muguette Dini et Michelle Meunier, le livre d’Alexandra Riguet et Bernard Laine, « Enfants en souffrance… la honte » (éd. Fayard), et celui de Lyes Louffok, « Dans l’enfer des foyers » (éd. Flammarion). Toutes les informations étaient sur mon bureau. Mais lorsque je me suis penchée sur le sujet, j’ai vu qu’on ne manquait pas de rapports mais de décisions politiques. Personne ne demande une grande réforme : quand on fait une loi, il faut cinq ans pour que les gens censés l’appliquer se l’approprient et la mettent en œuvre. Il nous faut donc réfléchir non pas à un grand bouleversement, mais à un aménagement de la loi de 2007 réformant la protection de l’enfance.
Quelle est votre priorité ?
Laurence Rossignol : Et en ce qui concerne les enfants de l’Aide sociale à l’enfance (Ase), les 153 700 qui sont sous mesure d’assistance éducative, et les 153 000 qui sont placés, les départements mènent des politiques extrêmement diverses. Et comme ce sont les départements qui sont en charge de la protection de l’enfance, si je veux faire évoluer les choses, il faut que je le fasse avec eux, et non contre eux. Mon but est de réduire la diversité des politiques mises en place. Aujourd’hui, hélas, c’est la loterie. Un enfant placé n’aura pas le même destin selon son lieu de naissance sur notre territoire. Ce qui explique les parcours totalement chaotiques. Or, il faut garantir à ces enfants le droit à la stabilité de vie. J’ai donc mis en place un processus d’évaluation concertée. J’ai réuni l’ensemble des acteurs : les présidents des conseils généraux, des anciens de l’Ase, les associations, les travailleurs sociaux, les juges pour enfants, la Protection judiciaire de la jeunesse. On a commencé à travailler ensemble pour harmoniser les pratiques et mettre en place un pilotage national. Dans certains départements, des méthodes de travail exemplaires ont été instaurées. Mon objectif est donc de sortir un guide des bonnes pratiques. Vous savez, la protection de l’enfance, c’est l’angle mort des politiques publiques, car ni les enfants de l’Ase, ni leur famille, ni les familles d’accueil ne sont des groupes de pression, contrairement aux usagers du train ou aux parents d’élèves ! Et puis la protection de l’enfance est une charge compliquée, les élus ne sont pas toujours à l’aise : décider ou pas de maintenir un enfant dans sa famille biologique peut être une décision vitale… Le rapport de l’Igas et la proposition de loi discutée au Sénat préconisent de faciliter l’adoption simple*. Cela pourrait concerner 3 000 enfants qui, chaque année, entrent dans la catégorie des « délégations d’autorité parentale », leurs parents ne pouvant exercer cette autorité…
Beaucoup de nos départements ont une forte politique de prévention du placement, ils aident les familles qui présentent des carences à faire face à leurs responsabilités éducatives. Mais il y a des enfants retirés à leurs parents dès la naissance dont on sait qu’ils ne reviendront jamais dans leur famille. C’est notamment le cas d’enfants de parents souffrant de troubles psychiatriques aigus. Nos procédures de délaissement parental sont hélas terriblement longues, et au moment où un enfant peut être adopté, il est très souvent cabossé après ce qu’il a déjà vécu : les placements en pouponnière, en famille d’accueil, en foyer… On doit accélérer les procédures. Pour cela, il faut dissocier l’autorité parentale du maintien du lien familial. Un enfant mineur n’est pas adoptable en adoption simple tant qu’il est toujours sous l’autorité parentale d’un parent. Il faut arriver à rassurer tout le monde sur le fait qu’adoption simple et maintien du lien avec la famille de naissance ne sont pas contradictoires. Il va donc falloir identifier une case juridique dans laquelle on constatera que le lien avec la famille biologique n’est pas rompu, qu’il ne doit donc pas l’être, mais que, par ailleurs, cet enfant a droit à un foyer stable. Et donc doit être accessible à l’adoption simple.
Pensez-vous que cette proposition de faciliter l’adoption simple sera bien reçue par les parlementaires ?
Laurence Rossignol : Maintenant, quand je mets un orteil dans l’hémicycle pour parler de famille, je m’attends à tout ! Certains vont prétendre que je vais détruire la famille biologique…
Comment rassurer les futurs adoptants qui optent pour cette adoption simple ?
Laurence Rossignol : Il faut considérer que, dès lors qu’un enfant est adoptable en adoption simple, son retour dans la famille biologique ne sera jamais possible. Quand vous avez une mère sous tutelle, malade psychiatrique, il serait vain et dangereux d’envisager qu’il retourne dans sa famille de naissance. Beaucoup d’anciens enfants de l’Ase se plaignent d’avoir été retirés sans leur avis d’une famille d’accueil aimante, qui voulait même parfois les adopter…La proposition de loi de nos deux sénatrices qui défend le droit à la stabilité affective précise que, quand un enfant est depuis trois ans dans une famille d’accueil et qu’on veut le déplacer, on doit recueillir sa parole. Et ce, dès l’âge du CP, l’âge du discernement. Ce qui est d’ailleurs valable aussi dans les procédures de divorce. Il faut que la parole de l’enfant soit un outil de la protection de l’enfance.
(*) Contrairement à l’adoption plénière, dans l’adoption simple, les liens avec la famille d’origine ne sont pas rompus, et le nom des parents adoptifs s’ajoute à celui de l’enfant. Mais l’adopté a, dans sa nouvelle famille, les mêmes droits et devoirs qu’un enfant biologique.
Source Article from http://www.marieclaire.fr/,laurence-rossignol-enfance-famille-interview,731141.aspSource : Marie Claire : Bien-être