Une peau qui sent le savon, une chevelure qui fleure bon le shampooing… rien de plus agréable pour soi-même et les autres. Nous l’avons appris tôt dans l’enfance : « il ne faut pas se salir », « une jolie fille est une fille soignée »… Certaines ont appliqué la consigne à la lettre, au point de verser dans des travers hygiénistes qui confinent à l’obsession.
Un idéal de pureté et de perfection
On nous serine des messages à peine subliminaux : il nous faut du plus blanc que blanc pour la lessive, du plus fleuri qu’un jardin pour faire mousser le bain… Toujours plus clean, donc toujours plus que parfaite. Il suffit d’avoir une estime de soi un peu fragile, un rapport à la féminité compliqué pour être sensible à cet idéal social de pureté angélique. Alors, tout ce qui peut nous rappeler le cycle de la vie, les humeurs naturelles, les années qui passent, doit être enseveli sous des décapants et des fragrances sublimes.
Pour Jean-Charles Bouchoux, psychanalyste: « La phobie des odeurs masque en réalité une peur de la vie et de la sexualité. C’est aussi le signe d’une hostilité, d’une misanthropie. Quand on n’aime pas quelqu’un, on dit volontiers qu’on ne peut pas “le sentir”. » Et le message de pureté vise toujours les femmes. Maryvonne Leclère, psychologue clinicienne, enseignante et membre de l’AFTCC3, parle de « culpabilité originelle » : « On frotte, on lave pour conjurer une angoisse. On se sent coupables à l’idée d’être contaminées et de contaminer les autres. » Comme on vit dans une société hygiéniste, l’angoisse se porte sur la maladie, la nécessité de désinfecter.
Il s’agit de l’angoisse de mal faire, d’être accusées d’indisposer les autres ou de leur causer du tort. Le souci de propreté excessive est aussi une agressivité retournée contre soi : ainsi, on s’en prend à la poussière ou à son « moi-peau » plutôt qu’à la personne qui nous a mises en colère. À défaut d’avoir su dire « non », on nettoie, on efface, on se venge sur le carrelage, sur ses ongles. La surenchère de propreté et la quête de perfection cachent une confiance en soi mise à mal.
De la simple manie au Toc pur et dur
Se laver les mains au moins trois fois par jour, se brosser les dents après chaque repas… c’est souhaitable. Mais quand le « réflexe propreté » est systématique, on frise la manie. Si on s’abîme la peau à force de la briquer et que l’on met en place rituels et stratégies d’évitement de contact (on ne serre la main à personne), on est dans la phobie ou le Toc (trouble obsessionnel compulsif). On devient un control freak (maniaque du contrôle).
« La différence entre la manie et le Toc, c’est non seulement la fréquence, mais la gestion de l’angoisse et la capacité à accepter un changement de programme (sortir au lieu de prendre une troisième douche) », précise Jean-Charles Bouchoux. Quand on doit enfiler des gants pour attraper des gants de vaisselle, se déshabiller dans un sas pour se changer, selon une gestuelle très précise, avant de pouvoir s’asseoir sur son canapé, le quotidien devient un enfer. Si l’on ne suit pas ces rituels, on a l’impression qu’une catastrophe va arriver. On les multiplie donc pour se rassurer à nouveau, ce qui génère aussi de l’anxiété, le fameux cercle vicieux.
De la manie au Toc, c’est toute une palette d’émotions que l’on craint de montrer à l’autre, « comme s’il fallait offrir un visage impassible, sans rougeur, sans sueur, sans expression », explique Stéphane Rusinek, professeur de psychologie et président de l’AFTCC. Comme si exprimer de la joie, de la tristesse, de la peur, pouvait rendre vulnérable. On doit prendre le risque de la relation, laisser l’autre nous influencer, nous changer – ce qui ne signifie pas « nous déposséder ».
Lâcher prise et retrouver le plaisir d’être soi-même
Manie ou Toc, il faut mettre le doigt sur son anxiété et accepter le désordre. Le désordre, c’est la vie. En thérapie comportementale, on demande à la personne,de s’exposer à ce qu’elle craint le plus, la saleté : ainsi, toucher le sol avec ses mains sans se précipiter ensuite pour les laver. L’anxiété monte, mais il faut la décrypter, mettre des mots et des émotions dessus. C’est en se confrontant à sa crainte qu’on l’apprivoise le mieux.
« Il s’agit de réduire l’impact du comportement hygiéniste en mettant en place la démarche inverse. Moins de rituels pour plus de prise de conscience », souligne Maryvonne Leclère. Pour arriver au lâcher-prise, à un rapport apaisé avec le corps et le ressenti que l’on a de soi-même, sans craindre de tomber dans l’excès inverse (la négligence). Au temps des rois, la peur de la contamination par l’eau amenait la cour à cacher sous des parfums un grand défaut d’hygiène. Certaines, de nos jours, cachent, sous une belle garde-robe et une bonne cosméto, un manque flagrant de passages sous ladouche. Cela s’explique par la même peur irrationnelle de la contamination et de la relation. Cesser d’être dans le contrôle, c’est se donner des chances de s’affirmer et de prendre soin de soi dans la sensualité et le plaisir.
Source Article from http://www.marieclaire.fr/,quand-l-hygiene-devient-une-obsession,734104.asp
Source : Marie Claire : Bien-être