Entre ces deux stades, je vis un temps de latence plus calme qui dure deux à trois mois, une sorte de mer d’huile émotionnelle, où je ne suis ni au fond du trou ni exaltée. Puis le cycle recommence, deux-trois ans d’hyperactivité et de bien-être. Oui, de bien-être. C’est ce qui rend diabolique cette pathologie, car avant d’en arriver à la fébrilité ou à une crise extrême, c’est le nirvana de vivre ces mois up ! Imaginez, pendant mes cycles de presque trois ans, mon existence ressemble à celle d’une patineuse qui évolue avec toujours plus d’allégresse. Cela m’a permis de me lancer dans les plus grands défis de ma vie professionnelle, j’ai osé postuler et j’ai décroché les postes qui me faisaient rêver.
Au quotidien, jamais mes responsabilités ne me paralysent. C’est même l’inverse : plus l’enjeu est costaud, plus je suis transportée. Je fonce et j’agis, je carbure au défi. Je dors cinq heures et demie par nuit maximum et, à peine levée, je suis montée sur ressorts. Mes idées fusent. Je traite une kyrielle de dossiers sans jamais douter de mes compétences, ni même ressentir de fatigue. Je saute de réunions en prévisions statistiques sans jamais perdre le fil, toujours avec un train d’avance. Du coup, je suis appréciée par ma hiérarchie. On me voit comme une fille dynamique qui n’a peur de rien et qui, en plus, a de la repartie. Le grand drame, c’est qu’on ne reste pas ainsi éternellement, à jongler avec notre énergie hors norme. A un moment survient une montée en puissance émotionnelle, où tout s’accélère, trop vite, trop fort. C’est durant cette période d’accélération que je perds pied et que je commets mes extravagances.
Cela débute quelques mois avant l’épisode de la fontaine : professionnellement, je suis en burn-out, mais je n’y prête pas attention. Je ne dors plus que trois heures par nuit. Parfois, je m’allonge tout habillée, pour aller plus vite le lendemain matin. Avant de partir à la banque, je travaille trois heures chez moi. Obsessionnellement, je vérifie les chiffres de chaque tableau créé la veille ou j’édite le même graphique en multiples exemplaires, avec une typographie et des couleurs différentes. Chaque matin, je passe l’aspirateur dans l’appartement pour que la moquette soit lissée dans le même sens. Dans le même temps, ma confiance en moi me rend mégalo. Je m’impose partout. Alors que je ne fais pas partie d’un projet, j’établis malgré tout des statistiques et un plan que je présente. Mes supérieurs sont médusés. Pour moi, ils sont époustouflés par mon argumentaire. Jamais je ne vois que je suis hors cadre, ridicule et, surtout, malade. Sur le plan personnel, je ressens le besoin obsessionnel de plaire au plus grand nombre.
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Source : Marie Claire : Bien-être