« Au-delà de la trahison, j’ai vécu cette annonce comme un viol », écrivait en 2008 Anthony Delon, dans son autobiographie, « Le premier maillon », en révélant l’existence de sa fille Alyson. Couchant sur le papier le traumatisme provoqué par une naissance qu’il n’avait pas désirée, il avouait être un de ces hommes à qui on a fait « un enfant dans le dos ». Une descendance dont il s’est longtemps tenu à distance. Il a attendu près de trente ans avant d’assumer complètement cette paternité forcée, et de partager, en août dernier, avec sa fille aînée la « une » de « Paris Match ». S’affichant sous le soleil des Bahamas, où ils ont vécu ensemble leurs premières vacances en famille, Anthony annonçait à l’hebdomadaire : « C’était mon devoir d’homme d’être là. » Et d’ajouter que le monde se divise finalement en deux catégories : « ceux qui démissionnent et ceux qui répondent présents ».
Père malgré moi : « Voir ma fille est comme une imposture »
Si le nombre d’hommes devenus pères malgré eux demeure inconnu, chaque année, environ mille cinq cents tests en paternité sont ordonnés dans le cadre de procédures judiciaires entamées par la mère ou par l’enfant, lequel peut ainsi rechercher son père jusqu’à l’âge de 28 ans. Et alors que 7 % des femmes qui accouchent ne déclarent pas de géniteur, 5 % des naissances seraient, selon les gynécologues, des « enfants dans le dos ». Aventure d’un soir ou partenaire d’une liaison brisée par la décision unilatérale d’une femme souhaitant coûte que coûte être mère, le père pourra ensuite être mis devant le fait accompli. Il aura alors souvent tendance à vouloir fuir. Marie Claire en a rencontré certains qui, avec le temps, ont eux pris le parti, plus ou moins obligé, d’assumer.
J’ai trouvé plus intolérable pour une petite fille qui n’avait rien demandé de ne pas avoir de père que ce que sa mère m’avait fait.Laurent, architecte
« Comment aurais-je pu faire autrement que de reconnaître cet enfant ? » s’interroge Laurent, architecte de 42 ans. La nouvelle de la grossesse de celle avec qui il avait une liaison depuis quelques mois a pourtant été vécue comme « un cauchemar intégral ». Ne croyant pas à l’accident de pilule avancé par la future mère, Laurent, déjà père de trois enfants, a essayé de la convaincre d’avorter, en vain. « Elle ne m’a pas laissé le choix, alors je l’ai prévenue : je refuserai le test de paternité et ne verserai pas de pension alimentaire. Des amis m’ont incité à me remettre avec elle pour le bien de l’enfant, mais c’était hors de question. Elle m’avait trahi en donnant une tournure totalement imprévue à une aventure qui aurait dû rester sans conséquence. » Un mois après l’évènement – qu’il ne considéra pas du tout comme heureux –, Laurent finit néanmoins par trouver « plus intolérable pour une petite fille qui n’avait rien demandé de ne pas avoir de père que ce que sa mère m’avait fait ».
« Il y a le poids de la morale et les mots qui vont avec, estime Matthieu, un professeur de 53 ans qui était résolu à ne jamais devenir parent. L’histoire de Cosette pèse sur les hommes. On ne veut pas apparaître comme cet affreux qui a engrossé la malheureuse Fantine avant de s’en aller cyniquement. » Aujourd’hui, Matthieu reçoit chez lui sa fille de 7 ans un week-end sur deux, et la garde régulièrement pendant les vacances, mais pas plus de cinq ou six jours d’affilée. « La parentalité m’a été imposée, ce n’est pas du tout ma nature et ça me mine, explique-t-il. Voir ma fille est comme une imposture, une comédie, une croix que je dois porter. »
« La souffrance de ceux à qui on impose d’être père est incomprise, remarque l’avocate Mary Plard. Ils vivent des histoires tragiques. J’ai été confrontée à plusieurs cas de suicide d’hommes pris dans un piège sans issue. Or on traite encore cela dans la dérision ou la caricature, en accablant celui qui s’est fait avoir. » Bref, il n’avait qu’à faire attention ! Mais pour la sociologue de la famille Charlotte Debest, « rien n’est fait pour inciter les hommes à prendre en charge leur fécondité. On ne les éduque pas à la sexualité et à son lien avec la procréation. Pourtant, celui qui ne veut pas d’enfant pourrait prendre ses précautions en utilisant le préservatif ou la pratique du retrait. »
Reste qu’une femme dispose d’une palette post-coïtum qui lui donne un contrôle total : pilule du lendemain, avortement, voire accouchement sous X. L’homme, une fois qu’il a consommé son désir de façon plus ou moins imprudente, pourra en revanche être contraint d’en accepter les conséquences souhaitées par sa partenaire en terme de natalité. Et passer pour un irresponsable. « La société produit des comportements psychorigides présentant beaucoup de parallèles avec celui que subissaient les femmes qui avortaient ou devenaient filles mères avant la loi autorisant l’IVG, déplore Mary Plard, qui a participé à tous les grands combats féministes. Je ne peux tolérer qu’à notre tour nous infligions aux hommes ce que nos grands-mères ont pu vivre. » L’avocate plaide pour l’introduction dans la loi d’une possibilité de paternité sous X, l’équivalent pour l’homme de l’accouchement sous X, un renoncement à être parent. « Ce serait un moindre mal mais pas la bonne solution, considère Matthieu. Je préférerais qu’on puisse distinguer le père biologique du père affectif, car les choses doivent être claires et on ne doit pas se cacher. L’enfant doit savoir qui sont ses parents, même s’il n’a pas été désiré, ce qu’il sentira de toute façon. »
Pères malgré eux : comment révéler la vérité à l’enfant ?
Et le père, comment ressent-il qu’un enfant est le sien ? La justice peut, depuis 1993, lui imposer une vérité biologique par le test ADN. Un moyen assurément fiable, mais qui se traduira par une violence psychologique inhérente à toute reconnaissance forcée en paternité, généralement assortie de revendications financières qui contribuent à rendre la situation encore plus conflictuelle. Thierry, producteur de 48 ans, n’en a pas eu besoin pour se rendre compte qu’il était le père d’une fille qu’il a mis deux ans à reconnaître, lorsque la mère de l’enfant l’a menacé d’en annoncer l’existence à ses parents et à sa compagne. « Alors que j’ai ressenti une indifférence totale la première fois que j’ai vu cette enfant qui était âgée de 2 ou 3 mois, j’ai commencé à lui rendre visite régulièrement après l’avoir reconnue, se rappelle-t-il. J’ai été troublé par son regard, qui ressemble au mien. Mais j’avais toujours un doute : était-elle vraiment ma fille ? Je pensais à faire un test ADN quand, à l’âge de 5 ans, après s’être fait gronder, elle s’est plantée au milieu de la pièce sans rien dire, les doigts croisés dans le dos. Enfant, je faisais exactement la même chose. J’ai alors su que c’était ma fille. Et je me suis de plus en plus attaché à elle. »
Le cheminement vers l’enfant conduit à une introspection personnelle. De quoi se retrouver déboussolé, comme le constate la psychanalyste Sophie Marinopoulos, vers qui Mary Plard envoie ses clients. « Ce qui va rendre l’homme père, c’est sa capacité à donner à l’enfant une place différente de celle de la mère, qui est apparue comme toute-puissante en commettant une attaque violant son intimité la plus profonde », souligne-t-elle. Encore faut-il avoir la possibilité d’établir une relation autonome.
C’est encore trop souvent la mère qui fait le père, en décidant quelle sera la place de l’autre. Sophie Cadelen, psychanalyste
Un problème qui s’est posé à Thierry. « J’ai dû me battre au tribunal pour gagner le droit de garder ma fille, après une période où je ne pouvais la visiter que dans un centre. J’ai obtenu un week-end sur deux quand elle a eu 6 ans, mais la galère a continué. Je traversais la France pour aller la chercher, et me retrouvais devant une porte close. J’appréhendais chacun de ces rendez-vous si souvent manqués. Cela nécessitait une demi-heure de méditation dans ma voiture avant d’aller sonner à sa porte. » Le père malgré lui, qui veut ensuite le devenir pleinement, peut se heurter à une mère estimant que l’enfant n’appartient qu’à elle. « Ayant fait un bébé toute seule, elle ne veut pas perdre la main vis-à-vis d’un tiers qui va jouer un rôle de séparateur », analyse Sophie Marinopoulos.
S’affirmer dans cette relation parentale est d’autant plus compliqué que la maternité continue de primer dans l’imaginaire collectif. « Elle demeure auréolée d’un rôle sacré qui tient pourtant largement du mythe, relève la psychanalyste Sophie Cadalen. C’est donc encore trop souvent la mère qui fait le père, en décidant quelle sera la place de l’autre. » Maintenant que sa fille a 19 ans, Thierry le vit toujours amèrement. « Elle est systématiquement solidaire de sa mère, qui entretient une relation fusionnelle. Il suffit que je sois en froid avec sa mère et ma fille ne me parle plus. C’est le cas depuis huit mois. J’aimerais lui expliquer la manière dont elle est venue au monde, lui dire ce que m’a fait sa mère en abusant de ma confiance, mais je n’y arrive pas. »
Révéler sa vérité à son enfant, avouer qu’il n’était pas désiré, telle est la terrible épreuve que Sophie Marinopoulos juge indispensable pour donner un sens à l’histoire familiale. « Ce fut le moment le plus difficile de ma vie, confie Matthieu. J’y ai réfléchi pendant sept ans avant de dire à ma fille que je ne désirais pas être papa, et qu’elle était là uniquement parce que sa mère l’avait voulu. Sa réponse a fusé : “Tu le regrettes ?” Je ne savais pas quoi répondre, je n’ai jamais été aussi bouleversé, et tout ce que j’ai trouvé à dire, c’est : “Je t’aime de tout mon cœur.” » Sans doute le signe que, désirée ou pas, la paternité est là.
Source Article from http://www.marieclaire.fr/,pere-malgre-moi-j-assume,785767.asp
Source : Marie Claire : Bien-être