© Bruno Fert / Picturetank pour Le Monde
Aurélie, 27 ans, victime des attaques du 13 novembre 2015 au bar Le Carillon, dans sa chambre d’hôpital.
Le terroriste qui l’a criblée de balles et défigurée ne lui a pas enlevé sa verve. Le visage boursouflé par une cinquième intervention chirurgicale en trois mois, Aurélie, 27 ans, s’excuse d’avoir «l’air d’un poisson-lune en colère». Il y a quelques jours, les équipes de chirurgie orthopédique et de chirurgie maxillo-faciale de deux hôpitaux parisiens se sont alliées pour prélever son péroné gauche et le lui greffer à la place de la mâchoire inférieure. «Ça ne sert à rien, un péroné, explique la jeune attachée de presse à l’interlocuteur médusé. Quand on n’en a plus, le tibia grossit pour compenser.»
Par la force des choses, la volubile jeune femme est devenue incollable en anatomie. «Cette dernière intervention a duré douze heures, autant m’intéresser à ce qui m’arrive, plaide-t-elle. Les médecins en ont profité pour me greffer aussi un morceau de crête iliaque à la place du radius droit, également touché, et pour ôter une dernière balle qui se baladait toujours dans ma jambe gauche.»
«Ça fait tellement mal que ça ne fait plus mal»
Partout sous la peau d’Aurélie affleurent des éclats métalliques gris et durs — reliques de la fusillade — qui, elle l’assure, «finiront par disparaître». Une des dix balles de kalachnikov qu’elle a reçues au bar Le Carillon, dans le 10e arrondissement de Paris, le 13novembre 2015, lui a traversé le crâne. Entrée derrière son oreille gauche, elle est ressortie par la partie inférieure droite de son visage, emportant tout sur sa trajectoire, sauf sa langue. La lèvre inférieure d’Aurélie s’est nécrosée. «Il a fallu l’enlever, on la réparera plus tard», dit-elle. Pour bien «former les labiales», la jeune femme la «remplace», pour l’heure, par des épaisseurs de compresses. Le stratagème est remarquablement efficace, et si d’aventure l’interlocuteur tend l’oreille à l’énoncé d’un mot, Aurélie le trace dans l’air en majuscules d’imprimerie.
Le soir des attentats, Aurélie fumait tranquillement une cigarette en terrasse de ce bar situé à quelques rues de chez elle. Elle attendait le retour de ses amies Anna et Marion Pétard Lieffrig — deux sœurs âgées de 24 et 27 ans — parties aux toilettes. «On était sur le point de rentrer dîner chez moi, se désole la jeune femme. Elles ont dû ressortir au moment où le terroriste est arrivé et elles ont été tuées.» Aurélie, elle, s’était réfugiée d’instinct sous la table, car elle venait de croiser le regard du bourreau qui s’avançait sur le trottoir.
«Pas du tout l’idée qu’on se fait d’un terroriste, se souvient-elle. Il était jeune et avait un joli visage aux traits fins avec une barbe, mais son regard et ses mains accrochées à cette arme qu’il tenait canon en l’air ne trompaient pas. Trois secondes plus tard, il s’est mis à tirer sur les gens. Il y avait des éclairs verts, violets…» Des balles qui lui ont traversé le corps, Aurélie s’en souvient à peine. «Ça fait tellement mal que ça ne fait plus mal, tente-t-elle d’expliquer. Comme si le cerveau libérait des endorphines. Je me rappelle juste la sensation de chaleur que les impacts déclenchaient en moi.»
«Je rêve d’une orgie de viande, poisson, fromage, avec du pain frais»
Dès ses premiers jours d’hospitalisation, la jeune femme s’est employée à apaiser les angoisses de ses parents. «Je ne peux pas leur en vouloir de me couver, philosophe-t-elle. C’est tellement dur, ce qu’ils ont vécu, qu’il est normal que je les rassure.» Installés à Dubaï depuis une quinzaine d’années, ils ont sauté dans le premier avion en apprenant par une amie d’Aurélie que cette dernière était grièvement blessée. Puis, alors qu’ils venaient de la quitter, mal en point mais vivante, le surlendemain des attentats, dans un hôpital de l’AP-HP, la permanence du Quai d’Orsay leur a téléphoné pour leur annoncer que le corps de leur fille décédée se trouvait à l’institut médico-légal. Une confusion due au fait que le sac d’Aurélie gisant sur le trottoir du Carillon avait été attribué à une autre jeune femme méconnaissable et qui n’a pas survécu.
Si Aurélie ne veut rien laisser paraître, des questions essentielles la taraudent. «Vais-je pouvoir à nouveau m’exprimer et manger normalement, toutes ces choses qu’on prend pour acquises?» interroge-t-elle. Elle rêve de refaire «du théâtre, de l’impro» et, plus prosaïquement, de s’offrir une «grande bouffe». Nourrie par sonde gastrique depuis le 13novembre, elle a perdu dix-huit kilos et n’en peut plus d’entendre son estomac gargouiller. «Je rêve d’une orgie de viande, poisson, purée, pâtes, fromage, avec du pain frais», salive-t-elle. Elle devra patienter. La reconstruction de son visage exigera une trentaine d’interventions chirurgicales. «Plus que vingt-cinq et on pourra s’attaquer à l’aspect esthétique», plaisante Aurélie, qui table sur «deux ou trois années de galère», selon la façon dont ses tissus «traumatisés» autant qu’elle réagiront.
Mais la «seule chose» qui la fasse pleurer régulièrement, confesse-t-elle, «c’est que depuis trois mois, mes amies soient parties à cause de pauvres types qui n’ont rien compris à l’islam et se sont fait laver le cerveau. Et qu’ils m’aient empêchée d’être présente à leurs obsèques. Quand j’étais lycéenne et que j’habitais à Dubaï, j’adorais entendre l’appel à la prière des muezzins, et on vivait tous très bien les uns avec les autres…»
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