Femme militaire, homme sage-femme : "je pratique un métier loin des clichés"

Si aujourd’hui, très peu de métiers sont interdits aux femmes, la parité dans la sphère professionnelle a encore du pain sur la planche. En 2008, une étude de l’Insee révélait que plus de la moitié des femmes actives se concentraient sur seulement six catégories socio-professionnelles. Malgré de nombreux progrès, la ségrégation professionnelle entre hommes et femmes demeure forte. Une ségrégation notamment portée par notre langage, puisque même si certaines qualifications de métiers tendent à se féminiser, il existe une résistance à la féminisation de certains noms de professions. A cet égard, il est difficile d’entrevoir le mot cheffe-pâtissière, policière, sergente, même chercheuse. De même, il est difficile de trouver une version masculine au titre de sage-femme…

 

Pourtant, la tendance est claire : si certaines catégories socioprofessionnelles telles que la cuisine, le domaine médical ou encore le stylisme sont réservées aux femmes, dès lors que ces métiers sont valorisés, on ne retrouve que des hommes. En effet, les chefs étoilés sont à majorité des hommes, tout comme les médecins et les créateurs de mode, alors que l’on ne trouve presque que des cuisinières, des infirmières et des stylistes. Pourtant, derrière ce phénomène, des femmes s’inscrivent chaque année dans des filières traditionnellement masculines, tandis que des hommes exercent des emplois majoritairement occupés par des femmes. Alors comment expliquer un tel fossé ?


 

Les femmes sont présentes dans le milieu professionnel depuis très peu de temps

 

Depuis le milieu du XXème siècle, la tendance tend à évoluer. Ainsi le secteur de l’armée, de la police ou encore des sapeurs-pompiers se sont ouverts aux femmes. Un fossé qui s’est historiquement creusé, comme le souligne Thierry Geoffroy, chargé de mission auprès du directeur de l’association Afnor, qui dispose du label égalité professionnelle : « Les femmes sont présentes dans le milieu professionnel depuis très peu de temps. Avant la guerre de 1914, elles travaillaient peu. C’est malheureusement le premier conflit mondial qui a fait qu’elles ont dû travailler. Plus récemment, c’est l’orientation qui a creusé le fossé. Les écoles ou universités n’ont pas été à la hauteur de ce que l’on attendait en matière de parité jusque dans les années 1980-90. »

 

Des problèmes d’orientation qui ont fait que certaines femmes se se cantonnées spécifiquement à certaines tâches. Il existe même des domaines professionnels comme celui des transports ou du bâtiment où elles sont presque inexistantes. Des métiers qui, traditionnellement, sont plus physiques et donc masculinisés. Pourtant, dans le bâtiment, une anecdote perdure : « Dans le bâtiment, lorsque vous mettez une femme dans une équipe de chantier, cela réduit fortement le taux d’accident du travail parce qu’elles sont plus sérieuses dans le port des équipements de sécurité. Malheureusement les femmes sont peu nombreuses sur les chantiers », témoigne Thierry Geoffroy.

 

 femme chantier

Crédits : Hero Images/Getty Images

 

 


Clara, 22 ans, sous-officier de réserve dans l’infanterie
 

Aujourd’hui, tous les métiers sont ouverts aux femmes à part celui de sous-marinier. Ce qui n’empêche pas la majorité des femmes de rester cantonnées à des métiers qui leur seraient « destinés ». Celles qui choisissent des professions masculines seraient d’abord des femmes qui auraient décidé de réagir à un univers trop féminisée. A l’inverse, d’autres seraient nées dans un milieu familial où leur métier est déjà pratiqué par un membre de la famille. Père ou oncle exercerait un métier et elles ne feraient que reprendre le flambeau. Les femmes exerçant des métiers d’hommes feraient ainsi l’objet d’une véritable « tradition familiale ». C’est l’idée que développent dans leurs travaux Nicole Mosconi et Rosine Dahl-Lanotte, auteurs de « C’est technique, est-ce pour elles ? Les filles dans les sections techniques industrielles des lycées ».

 

C’est aussi le cas de Clara, 22 ans, sous-officier (grade de sergent) de réserve dans l’infanterie, une jeune femme aux yeux clairs et de petite taille : « un physique pas forcément très imposant pour ce genre de métier ». Celle dont le frère et le grand-père – décoré pendant la Seconde Guerre mondiale – sont militaires, a toujours baigné dans ce milieu :

 


Souvent, on me demande dans le civil : ‘Qu’est-ce qu’une petite blonde peut apprendre à ses gars’ ou ‘Toi ? tu commandes ?’.


 

Des remarques auxquelles la jeune femme s’est vite acclimatée, elle qui n’a jamais réellement apprécié l’univers féminin : « On pense souvent que les femmes sont mal vues à l’armée. Je discutais de ce sujet avec un sergent depuis très longtemps dans l’armée, ayant déjà participé à des opérations extérieures et dans des zones de combat. Il m’a dit qu’il n’avait rien contre les femmes dans l’armée mais qu’il fallait être honnête et qu’en situation d’urgence, une femme ne pourrait jamais soulever un homme de 90 kilos. J’y ai réfléchi et je suis tombée d’accord avec ce qu’il me disait, car je ne voudrais pas avoir la mort d’un collègue sur la conscience parce que je n’aurais pas eu assez de force physique. Je pense que dans l’armée, que ce soit pour les hommes ou pour les femmes, il faut savoir où sont ses limites et ne pas les dépasser pour ne pas devenir un fardeau pour ses collègues, comme leur laisser son sac alors qu’ils en portent déjà un ».

 

 femme militaire

Crédits : Joel Sartore/Getty Images

 

Ces difficultés quotidiennes, les femmes travaillant dans des environnements masculins doivent s’y confronter en faisant leurs preuves, notamment en travaillant plus qu’un homme en poste : « Ce qui est plus compliqué quand on est sergent, mais particulièrement quand on est une femme, c’est qu’il faut prouver beaucoup plus que l’on mérite ce grade. On doit s’occuper de soi, de tous les autres et surtout toujours montrer qu’on a le moral, peu importe la situation. Car comme on dit dans l’armée : ‘Si le chef s’assoit, le soldat se couche’. C’est également difficile d’un point de vue physique, car aller aux toilettes et supporter les désagréments des menstruations lorsque l’on est sur le terrain et que l’on n’a pas la possibilité de se laver peut devenir un véritable défi ».

 

Pourtant, Clara n’a pas « la sensation d’être mise à l’écart. Cela peut arriver au supérieur de dire ‘Venez par ici les gars’ et de voir un autre le corriger en disant ‘et les filles’, mais je ne trouve pas ça important. Au contraire, cela me fait plaisir d’être mise sur le même pied d’égalité. Je ne suis pas le genre de personne qui veut qu’on féminise tous les noms. S’il y a bien quelque chose que je ne supporte pas, c’est que l’on dise que je suis ‘la sergent’. Non, je suis comme tous les autres, donc c’est ‘le sergent’. En mettant un accent sur ce genre de choses, on ne fait que souligner qu’on est différente. Finalement je dirai que je ne me sens pas du tout mal à l’aise dans ce milieu. J’ai toujours trouvé des personnes plus intelligentes qui, malgré les différences et les difficultés qu’une femme peut rencontrer à l’armée, étaient agréables et prêtes à aider en cas de besoin ».

 

Si parfois les femmes exerçant un « métier d’homme » doivent faire face à de l’hostilité, elles peuvent également être confrontées à un excès de bienveillance : « Quand il faut porter ou faire passer quelque chose de lourd, j’ai remarqué qu’en priorité, ils ne le demandent ou ne le tendent pas en premier à une femme. Je pense que c’est tout simplement fait inconsciemment et non pas dans le but de montrer la supériorité ». Mais pour Thierry Geoffroy, ce type de réaction peut aussi cacher une certaine forme de sexisme : « Le sexisme au travail prend des expressions les plus diverses possibles selon les secteurs d’activités. Cela peut prendre la forme de blagues répétitives graveleuses et bas de gamme, ou des appellations systématiques comme ‘ma chérie’. Ou alors, de façon moins visible, cela peut se traduire par les empêcher de faire certaines tâches ou les affecter mécaniquement à certaines tâches dans certains secteurs d’activité. Le grand stéréotype est qu’une femme est mariée, a forcément des enfants et donc qu’il faut l’aider à assumer sa vie de famille en lui attribuant directement un emploi du temps, pour qu’elle puisse libérer du temps sans vérifier si c’est le cas avant ».

 

 


Arnaud, 22 ans, sage-femme
 

Moins médiatisé, ce phénomène existe pourtant bel et bien. Néanmoins, comme le soulignent Nicky Le Feuvre et Jacqueline Laufer dans leur ouvrage L’inversion du genre : Quand les métiers masculins se conjuguent au féminin… et réciproquement (3), la masculinisation des métiers féminins n’est pas le résultat de projets politiques : « Si l’objectif de l’ouverture des anciens ‘ bastions masculins’ aux femmes constitue une priorité politique depuis plusieurs décennies, les hommes sont généralement peu encouragés à investir des métiers féminins ».

 

Les hommes qui exercent des « métiers de  femmes » renvoient souvent une image positive, alors que ce n’est pas vraiment le cas pour les femmes qui exercent des « métiers d’hommes ». « Les hommes tirent parti de leur position minoritaire. En règle générale, ils connaissent des parcours de carrière et des modes d’exercice qui les différencient très rapidement de leurs homologues féminins. […] Les hommes en position minoritaire connaissent des parcours ascensionnels plus fréquents et plus rapides que leurs consœurs ».

 

 homme sage femme

Crédits : Echo/Getty Images

 

Une réalité sur laquelle Pierre Charrier s’est penché sur le terrain, en étudiant les hommes sages-femmes dont les travaux sont publiés dans le même ouvrage. Depuis près de 20 ans, la profession s’est ouverte aux hommes. Un phénomène qui est dû au recrutement. En effet, dorénavant, « un certain nombre d’étudiants passant l’examen de PCEM1 – étudiants en médecine- sont classés en position suffisante pour accéder à l’École de sages-femmes, se voyant ainsi proposer cette filière à laquelle il n’avait pas toujours songé ». Un choix qui se fait donc malgré eux, ces étudiants n’ayant pas été acceptés en médecine : « Pour aucun d’entre-eux je n’ai relevé de choix prédéterminé pour la profession de sages-femmes ».

 

C’est le cas d’Arnaud, 22 ans, étudiant sage-femme qui témoigne de « son saut dans l’inconnu ». « Depuis tout petit, je voulais travailler dans le domaine de la santé. Le bac scientifique était pour moi une évidence quand je suis rentré au lycée, même si je n’appréciais pas franchement les maths. Mon bac en poche avec mention bien, je me suis orienté vers la fac de médecine. Comme beaucoup d’étudiants, j’ai voulu présenter le concours PACES (première année des études de médecines) avec la ferme intention de le réussir. J’ai travaillé nuits et jours pour essayer de décrocher ma place en deuxième année. Malheureusement, mes efforts ont été infructueux. Mais mon classement me permettait tout de même de repasser le concours une deuxième fois. Mes résultats de la première vague d’épreuves au premier semestre n’étaient toujours pas satisfaisants et au milieu de l’année, je me suis donc renseigné sur les autres concours de la PACES (pharmacie, sage-femme et dentaire). Je ne connaissais pas la profession de sage-femme, pour moi c’était juste la personne qui récupère le nouveau-né après l’accouchement. Comme beaucoup de monde, je pensais que les accouchements étaient majoritairement encadrés par des médecins. Or, j’avais tort. Les sages-femmes sont relativement autonomes durant l’accouchement et peuvent suivre les grossesses de A à Z. A la fin de ma deuxième première année, j’ai finalement réussi à me classer dans la filière sage-femme. C’est sans regrets que j’ai débuté cette formation, mais à l’époque, je me souviens que c’était un peu le saut dans l’inconnu.

  

Le premier jour, j’ai été heureux de voir un autre garçon dans ma promo. N’étant que 40 dans la classe nous avons tout de suite été adoptés.

 


Au début de la formation, j’avais quand même un peu peur. Peur du regard des patientes vis-à-vis de moi, peur de passer pour un gros pervers. Mais finalement, avec l’expérience et les années, ces peurs ont totalement disparu. Même si parfois, j’essuie quelques refus de la part de femmes de toutes confessions, la plupart acceptent que je les suive durant leur accouchement.


 

« Toutes sont finalement contentes et me trouvent parfois plus doux que certaines femmes. La nudité ne me fait plus peur aujourd’hui, car depuis le début, il y a finalement toujours eu une barrière entre vie privée et vie publique. Et ce que je vois ou fait à l’hôpital est strictement médical. Avec mes futures collègues sages-femmes, le courant passe plutôt bien, même si parfois leurs conversations tournent autour de sujets de femmes. Les hommes sont rares dans ce domaine et je n’ai pas souvent l’occasion d’entretenir de vraies relations de travail avec des collègues masculins. Même si cela me pèse parfois, je m’épanouis quand même bien dans cette formation. Mon entourage m’a toujours soutenu dans ma démarche et le fait de commencer ces études ne les a pas du tout choqués. Et puis, j’ai rompu les ponts avec tous ceux qui disaient que le métier de sage-femme n’était pas fait pour les hommes ou qui me qualifiaient de ‘sous-homme’. Il me reste actuellement deux ans de formation avant de devenir sage-femme et je suis très heureux de mon choix.

 

Quand je parle de mon métier autour de moi, les gens sont très intéressés. Ils me disent que je fais l’un des plus beau métiers de la terre (même si parfois c’est un peu dur et que toutes les grossesses ne sont pas merveilleuses…) et me demandent souvent comment on appelle un sage-femme masculin, je leur réponds que le vrai terme est maïeuticien (qui vient de Socrate qui ‘accouchait les idées’). Comme personne ne comprend de quoi il s’agit, je continue à me présenter comme LA sage-femme en formation. Pourquoi vouloir inventer de nouveaux mots ? Après tout, on ne dit pas une pompière pour une femme pompier ».

 

 


Le choix de cet anticonformisme, un pas vers l’égalité ?

 

On pourrait donc naturellement se demander si la féminisation des « métiers d’hommes » – et à l’inverse, la masculinisation des « métiers de femmes » – ne serait pas le moyen le plus efficace de conduire à plus d’égalité. Or, selon Erika Flahault et Simone Pennec, « davantage de mixité ne conduit pas nécessairement à plus d’égalité. […] C’est bien aussi parce que le partage des tâches domestiques a du mal à être effectif que, dans la plupart des milieux encore, les femmes peinent à assumer toutes les fonctions liées à des métiers généralement exercés au masculin ».

 

Pourtant, à l’inverse, c’est aussi un bon moyen pour les femmes de se libérer de ces fameuses tâches domestiques : « l’insertion professionnelle des femmes leur permet de prendre de la distance avec les activités domestiques et, par ailleurs, de donner à leur travail dans les différentes sphères une meilleure visibilité ». Même si généralement, « les hommes tirent toujours mieux leur épingle du jeu, sachant que la concurrence leur est favorable lorsqu’ils sont très minoritaires ».

 

Si ce n’est pas nécessairement un facteur de plus d’égalité, la mixité serait bénéfique au développement du bonheur au travail. Pour Thierry Geoffroy, « la mixité dans les équipes sur le terrain est de nature à améliorer les conditions de travail, le climat professionnel et l’ambiance. Cela améliore mécaniquement l’efficacité au travail et la rentabilité ».

 

Des progrès sont néanmoins à noter dans la marche vers l’égalité professionnelle, même si le chemin est encore long. D’après les auteures Erika Flahault et Simone Pennec, les avancées sont bien là : « Si les avancées vers l’égalité sont lentes, certaines sont réelles. Que ce soit pour les hommes et les femmes, chacun apporte sa pierre à l’édifice et contribue à plus d’égalité professionnelle ». Des recherches porteuses d’espoir, donc.

 

 

(1) Filles et Garçons sur le chemin de l’égalité publié en 2014

(2) (Duru-Bellat, 1994)

(3) L’inversion du genre : quand les métiers masculins se conjuguent au féminin… et réciproquement sous la direction d’Yvonne Guichard-Claudic, Danièle Kergoat et Alain Vilbrod, éd Puf, 2008

Source Article from http://www.marieclaire.fr/,femme-militaire-homme-sage-femme-je-pratique-un-metier-loin-des-cliches,808745.asp
Source : Marie Claire : Bien-être

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