Marie Claire : Qu’est-ce que le syndrome de l’imposteur ?
Sophie Cadalen : C’est le sentiment d’avoir usurpé une place, de ne pas être à la hauteur du poste qu’on occupe et/ou de ne pas avoir le droit d’y être. Même si on sait parfaitement qu’on a gravi les échelons, forte de ses compétences. Et ce, qu’on ait une faible ou une bonne estime de soi (dans ce cas, après une promotion fulgurante, par exemple).
Pourquoi est-ce un syndrome particulièrement féminin ?
Même si de plus en plus de femmes font carrière, sur le divan cela se traduit encore par : « Ma place de femme est-elle vraiment là ? Ne serais-je pas plus utile, voire meilleure, ailleurs ? » « Ailleurs » signifie « dans mon rôle d’assistante », où j’aide les enfants, veille à la bonne tenue de la maison. Au travail, « je contribue à », mais sans être « porteuse de » ni leader. Les femmes ne sont pas tout à fait dépêtrées des places où on les a cantonnées pendant des siècles.
Le plafond de verre serait-il avant tout une barrière intérieure ?
Oui, il est la collusion entre une énergie désirante qui a permis d’oser aller de l’avant et le fait, comme le disait le psychanalyste Jacques Lacan, de « s’autoriser soi-même ». Eprouver ce syndrome révèle que, contrairement à ce qu’on pensait, on ne s’est pas tout autorisé dans sa vie et dans ses choix. Qu’on est encore assujettie au jugement d’autrui et à des normes. Inconsciemment, on attend encore une autorisation de l’Autre avec un grand A ¬ un Autre imaginaire qui est le fruit de notre histoire et qui peut nous dire : « Oui, tu peux être là, à cette place », tandis qu’on s’interdit un : « Je veux être là. »
En quoi l’histoire de chacune peut-elle peser ?
Une femme dont la mère est restée au foyer, par exemple, et pour qui il est inconcevable de faire de même, peut voir un jour sa carrière bloquée par ce syndrome, car affirmer sa différence, c’est-à-dire ne pas être condamnée à suivre le même chemin, revient, psychanalytiquement, à « tuer la mère ». Du coup, elle réussit, mais pas trop. D’autres ont eu des parents qui les ont tant encouragées à réussir que l’inconscient l’interprète finalement comme un ordre aliénant et s’en détourne. Quant à réussir malgré les menaces ¬ « Ce n’est pas la bonne voie », « Tu n’y arriveras pas »… ¬, cela peut faire surgir l’interrogation inconsciente : « Vais-je risquer de me donner raison et d’invalider leur voix à eux ? »
Que faudrait-il revoir, dans l’éducation de nos filles, pour les libérer ?
C’est surtout la lucidité vis-à-vis de soi qui pourra libérer les générations futures. Si on n’est pas, en temps que femme et mère, totalement débarrassée de ce syndrome d’imposture, et donc si on n’est pas profondément convaincue que sa fille est légitime à tous les niveaux, malgré des discours et une éducation donnés dans ce sens, on transmettra ce syndrome, même refoulé. C’est en s’attaquant conjointement à l’intime et aux positions politiques sur l’égalité entre les hommes et les femmes que les choses changeront réellement.
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Source : Marie Claire : Bien-être