© Kasia Wandycz
La vulnérabilité des femmes n’a pas de frontières
Le message attire l’attention d’Isabelle Le Guellec, coordinatrice du bureau de la protection des mineurs et de la famille au ministère des Affaires étrangères. Plusieurs fois par jour, elle vient consulter ce qu’elle appelle « la boîte à signalements », les e-mails envoyés sur mariageforce.fae@diplomatie.gouv.fr, une adresse ouverte dans le cadre du plan de lutte lancé en 2013. Les appels au secours viennent surtout de pays étrangers qui autorisent ou laissent faire les mariages forcés. « Ça bouge en Afrique, mais les Indiennes ou les Pakistanaises sont plus dociles et sans doute davantage sous l’influence de la famille. » Le message envoyé d’un cybercafé des Comores l’intrigue : « Qu’est-ce que je peux faire ? » Emmenée dans son pays d’origine, la jeune fille flaire le stratagème. « Une fois arrivée sur place, elle est placée devant le fait accompli. De sa propre initiative ou en faisant intervenir des proches, grandes sœurs ou petit copain, elle nous fait parvenir un message comme une bouteille à la mer. »
« Certaines filles viennent de villages que l’on n’arrive même pas à localiser sur Google Maps »Alertés, les services consulaires se heurtent souvent à des problèmes pratiques. « Certaines filles n’ont ni papiers, on les leur a souvent confisqués, ni argent pour se déplacer. Elles sont surveillées et cloîtrées. Elles viennent de villages que l’on n’arrive même pas à localiser sur Google Maps, comme en Inde. » Certaines victimes osent pousser la porte des consulats, comme récemment à Dakar (au Sénégal, le mariage forcé est puni par la loi), où deux sœurs de 18 et 20 ans sont arrivées en déclarant : « Notre père veut nous marier et nous ne sommes pas d’accord. Nous voulons continuer nos études en France. » L’assistante sociale a pris rendez-vous avec la famille et les victimes ont été placées sous protection consulaire en attendant leur rapatriement en France. Pour encourager de telles initiatives, le Quai d’Orsay mise beaucoup sur la communication en direction de ces jeunes filles : affiches dans les consulats de France, conseils sur le site France Diplomatie et, plus adaptées, des campagnes de sensibilisation sur les réseaux Facebook et Twitter avec une photo choc représentant deux mains avec des barbelés. Encore faut-il que, sur place, les fonctionnaires soient formés à ce type de demande.
C’est désormais le cas. Les consulats disposent d’un annuaire des structures d’accueil et d’hébergement d’urgence comme SOS Femmes en détresse à Alger. Pourtant, « trop de filles disparaissent des écrans radars après nous avoir contactés, déplore Isabelle Le Guellec. Le consulat leur a bien exposé leurs droits mais, intimidées et se rendant compte de l’immense tâche à accomplir, elles se découragent et laissent tomber. Il n’y a pas de rapatriement imposé, nous ne pouvons pas les forcer. » D’autant qu’elles subissent les pressions de la famille. Et de citer cette élève de première qui, après un appel d’un cybercafé dans le désert algérien, a pris un bus pour Alger où son grand frère l’a cueillie et ramenée manu militari au village. « Elle n’a pas le cœur à recommencer… Certaines appellent après », observe Sarah, directrice de l’association Voix de femmes. Cette juriste reçoit des Maghrébines, des Africaines, des Turques, des Comoriennes, des Indiennes, des demandeuses d’asile du Moyen-Orient, musulmanes et chrétiennes. « L’asile est rarement accordé en raison du mariage forcé, mais plutôt pour l’appartenance à une communauté religieuse minoritaire. »
« S’ils apprennent que je suis enceinte de lui, ils me tuent! »Dans ce lieu tenu secret en banlieue parisienne, elles s’échangent des conseils et leurs coordonnées. « Ne pas se sentir seule, c’est important pour tenir le coup, explique Sarah. On les aide à reprendre confiance en elles car elles sont plus ou moins brisées, ont du mal à parler. » Depuis que le numéro a été médiatisé, notamment dans les écoles, les appels sont en augmentation. « En 2014, 240 femmes ont contacté Voix de femmes via notre ligne dédiée. Si elles le souhaitent, nous les aidons à fuir. » Les appels s’enchaînent. « S’ils apprennent que je suis enceinte de lui, ils me tuent ! » Au bout du fil, Sarah sent le danger. D’origine indienne, son interlocutrice a le tort d’avoir une relation avec un Pakistanais. Ses parents veulent lui imposer un mari. Son petit frère a entendu que son mariage était préparé et que les billets d’avion étaient déjà achetés. Il a prévenu sa sœur… Dans de nombreux cas, l’élément déclencheur est la découverte d’une relation avec un homme qui ne correspond pas aux critères de la famille ou de la communauté (caste, village, religion…).
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Passé le stade de l’écoute, Voix de femmes se heurte à l’épineux problème de l’hébergement. « C’est vraiment la catastrophe ! Priorité est accordée aux femmes battues qui ont des enfants. Or, nous recevons surtout des 17-22 ans sans enfants et scolarisées. » Censés prendre en charge ces jeunes en danger, les conseils généraux n’ont pas les moyens d’appliquer la loi, sauf la Seine-Saint-Denis, grâce à l’action d’Ernestine Ronai, de l’Observatoire des violences envers les femmes. Sarah est indignée : « Certaines jeunes filles doivent dormir dans la rue, la mosquée ou des temples évangéliques, subissant une incitation à la pratique religieuse et parfois du harcèlement ou des agressions sexuelles par les officiers du culte ou des hommes qui fréquentent ces lieux. » Il semble que la vulnérabilité des femmes ne connaisse pas de frontières.
SOS mariage forcé : 01 30 31 55 76.
Observatoire des violences envers les femmes : 01 43 93 41 93.
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